L’ambition écologique commence sur le Triangle de Gonesse

Tribune parue dans Libération

Après l’abandon en 2019 du méga centre commercial EuropaCity, que va devenir cet espace agricole aux portes de Paris ? 

Plusieurs personnalités du monde de l’économie sociale et solidaire plaident pour la mise en oeuvre de CARMA, projet agro-écologique d’intérêt général pour l’Ile-de-France.

Tribune. Le 7 novembre 2019, le président de la République annonçait l’abandon d’EuropaCity, mégacentre commercial et de loisirs qui devait être construit dès 2020 à Gonesse, à 15 kilomètres de Paris, entre les aéroports du Bourget et Roissy-Charles-de-Gaulle. En tout, 80 hectares de champs allaient laisser la place à une galerie marchande de 500 boutiques, des salles de spectacles, plusieurs ensembles hôteliers, sans oublier une piste de ski artificielle, comme à Dubaï. On ne peut donc que saluer cette première sage décision d’arrêt d’un projet dont la viabilité économique dépendait d’un tourisme international aujourd’hui fort compromis.

Mais pour autant, qu’en est-il de l’avenir du Triangle de Gonesse, espace agricole de presque 700 hectares d’une exceptionnelle qualité agronomique, et de son territoire, qui porte le nom ô combien symbolique de «Pays de France ?» Quelles décisions seront prises pour ces communes situées à la lisière de la ville et des champs, et dont les habitants, plus exposés qu’ailleurs à la pollution et au bruit, sont frappés par un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne régionale ?

En même temps qu’il annonçait l’abandon d’EuropaCity, le gouvernement demandait à Francis Rol-Tanguy d’écrire un rapport contenant des «scénarios» pour ce territoire. Si son contenu n’a pas encore été diffusé, et si les arbitrages du gouvernement se font attendre, on doit espérer que cela ne soit pas une vision dictée par le court terme et les demi-mesures qui aboutisse encore une fois à la plus mauvaise des solutions : celle d’urbaniser des terres agricoles aux portes de Paris.

Car pour le moment, et contre toute logique, ni la gare du Grand Paris Express imaginée au départ pour desservir EuropaCity, ni la zone d’aménagement concerté (ZAC) et son quartier d’affaires de 200 hectares, soit la superficie de la moitié de la Défense, n’ont été abandonnés. La ZAC a même été validée par une décision du Conseil d’Etat en date du 1er juillet.

Regardons la réalité en face : la construction en plein champ d’une gare, dont le coût a été estimé par la Société du Grand Paris à 100 millions d’euros, ne peut qu’être le cheval de Troie d’une urbanisation à grande échelle, certes, moins spectaculaire que ne l’était le projet EuropaCity, mais tout aussi absurde.

Pourtant, un scénario alternatif existe : depuis 2016 le projet Coopération pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d’avenir (Carma) vise non seulement à préserver ces espaces non artificialisés, nos meilleurs alliés face à la pollution et aux canicules, mais aussi à relever le défi de l’approvisionnement alimentaire, (cantines scolaires, hôpitaux, Ehpad…), en produits bios et locaux. Des fermes maraîchères, une ferme horticole, un lieu d’apprentissage des méthodes de l’agroécologie et des métiers d’avenir de la mutation écologique, les projets ne manquent pas. Et tout autour du triangle agricole, de nombreuses zones déjà urbanisées pourraient permettre l’installation d’entreprises d’économie sociale et solidaire.

D’autres métropoles européennes l’ont compris avant nous : en protégeant les terres agricoles à leurs portes, des villes comme Milan, Barcelone ou Liège se sont donné la possibilité de s’engager dans une transition écologique qui enrichit le sol sans pesticides et sans engrais chimiques, qui embellit le paysage, et qui ouvre la possibilité de nouveaux circuits de distribution plus proches des territoires, créateurs de davantage d’emplois.

Le projet Carma et son prolongement, la démarche Réseaux d’initiatives solidaires pour les mutations agroécologiques (Risome) pour le Pays de France, cherchent à accélérer la mise en réseau et les coopérations de toutes celles et ceux qui sont conscients de l’urgence d’un nouveau modèle agroalimentaire, l’un des points névralgiques d’une transition écologique.

Pendant le confinement, la pénurie alimentaire a pu être évitée. Mais jamais la conscience de la vulnérabilité de notre système d’approvisionnement n’a été aussi forte. Après la ruée sur les produits de première nécessité, des systèmes alternatifs de distribution, souvent solidaires, se sont inventés. Les ventes à la ferme, les achats groupés d’habitants, les ventes flash de produits supplémentaires de paniers Amap, sans oublier la mobilisation pour approvisionner les personnels soignants et populations fragiles et dépendantes, ont montré l’inventivité des agriculteurs, commerçants et habitants dans ces circonstances inédites. Mais sans moyens juridiques et financiers pour pérenniser ces nouveaux circuits, et surtout sans la volonté politique constante de protéger les terres agricoles, ces initiatives resteront sans lendemain.

Les membres de la Convention citoyenne sur le climat l’ont affirmé avec force : il faut «interdire toute artificialisation des terres tant que des réhabilitations ou friches commerciales, artisanales ou industrielles sont possibles dans l’enveloppe urbaine existante» et «protéger fermement et définitivement les espaces naturels et agricoles périurbains». Si l’on en croit la déclaration de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, à l’issue du Conseil de défense écologique de ce lundi 27 juillet, cette demande essentielle devrait faire l’objet d’une circulaire estivale aux préfets pour «veiller scrupuleusement à cette question d’artificialisation dans les dossiers d’autorisation commerciale». Un premier pas à saluer mais cela sera-t-il suffisant pour inverser la vapeur ?
Le chef de l’Etat a promis de mettre «l’ambition écologique au cœur du modèle productif» : c’est à Gonesse, dès maintenant, qu’il a rendez-vous pour apporter la preuve que des discours, il est prêt à passer aux actes.

Signataires : Christiane Bouchart Vice-présidente du Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), membre du Labo de l’ESS (économie sociale et solidaire), Alain Caillé Professeur de sociologie émérite à Paris-Ouest-Nanterre, directeur du Mauss, animateur du mouvement des Convivialistes, Marc Dufumier Agronome, professeur honoraire à AgroParisTech, Dominique Hays Président du Réseau Cocagne, animateur de l’Ecopôle alimentaire d’Audruicq, Fatima Idhammou Fondatrice de Réseau d’échanges et de restauration (RER), Dominique Picard Présidente de Carma, Hugues Sibille Président du Labo de l’ESS, Agnès Sinaï Fondatrice de l’Institut Momentum et auteure d’un livre sur la biorégion Ile-de-Franc

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